+ de critères

Théorie des courants

Théorie des courants


Il est des événements épars, suite aux attentats de Paris du vendredi 13 novembre, que nous avons tous observés. Ainsi de l’apparition du texte posthume d’Ernest Hemingway, Paris est une fête. Dans les mains ou bien au milieu des bougies, il symbolisait comme une réponse aux meurtriers. Si bien qu’autour du 20 novembre dernier, cinq cents exemplaires étaient achetés chaque jour contre dix habituellement. A tel point que le texte détrônait le dernier album d’Astérix sur le site d’Amazon, en occupant la première place des ventes.
Paris est une fête est-il ainsi devenu l’écrit-étendard de ces événements comme, quelques mois plus tôt, le Traité sur l’intolérance de Voltaire le fut suite aux attentats du 7 janvier. Bataille pour les consciences, état de guerre. A chaque tragédie, son œuvre. Ces phénomènes ont été couverts, mais ont-ils été interprétés ?

 


Première conviction. Il serait faux de les penser en happenings.


Ils ne sont en rien non plus la magistrale réponse de la culture face à la barbarie, dont on nous rebat les oreilles, et tant nous savons que le niveau de culture ne préserve en rien de la commission d’actes des plus cruels. Ces phénomènes sont plutôt, non la réponse, mais la manifestation malgré nous de notre culture, en particulier littéraire.

Brandir une œuvre littéraire, comme par un réflexe conditionné, c’est comme être porté par un « courant de conscience » que décrit Virginia Woolf ; mais ce courant, décrivant notre état intérieur, est ici collectif. Plus fort que nous. En état de choc, cette vague intérieure nous déborde, nous dirige et nous unit. Nous soutenons que ces actes sont, en soi, des œuvres. Que cette vague produit par elle-même un indice de littérarité.

 


Seconde conviction. « Fluctuat nec mergitur », c’est le « Nique ta mère » antique.


Dès le soir du 13 novembre, la devise latine de la Ville de Paris était déclinée et amplifiée par les réseaux sociaux. Ce qui nous paraît frappant est la soudaineté et l’évidence avec laquelle elle a surgi, puis portée comme un bouclier. Ce phénomène ne doit rien au hasard. Celui-ci est directement lié à la communauté des Nautes, qui jadis adopta cette devise face à la montée de la Seine, dont les berges n’étaient pas aménagées. Face à la submersion, Paris ne sombre pas. Face aux terroristes, le peuple de Paris non plus. Il est directement connecté à ses fondateurs. La vague est intérieure. Collective. Symbolique.

Cette devise, gravée à l’eau-forte, interroge enfin l’intérêt qui est portée à la langue latine. Qu’on le veuille ou non, celle-ci irrigue depuis le plus profond de nous-mêmes notre commune condition et surgit dans les moments cruciaux pour nous le rappeler. Ce en quoi elle est vivante. Faut-il l’écrire encore, le latin n’est pas une langue de vieux con ni un élément inutile à la formation.

Une récente étude de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du Ministère de l’Education nationale1 est ici éclairante. L’observation de 35 000 élèves entrés en classe de sixième en 2007 a permis de constater que le succès aux examens des latinistes issus de milieu modeste était supérieur de 21,5 % pour le brevet des collèges, et de 23 % pour le baccalauréat par rapport aux élèves non latinistes. Un écart par ailleurs supérieur aux enfants de milieu plus favorisé. Plus intéressant encore, le rôle joué par le latin dans la mixité sociale. L’enseignement de la langue participe de la stratégie des milieux favorisés en zone d’éducation prioritaire : sans latin, les élèves seraient probablement scolarisés ailleurs, et les écarts se creuseraient davantage. Voilà qui peut nourrir une réflexion pour interroger tout ce qui peut faire Nation.

Ainsi ces phénomènes constituent-ils des courants, dont les langues et les œuvres peuvent sembler dérisoires à l’épreuve des balles. Nous pensons qu’elles sont bien plus et qu’il faut savoir interpréter leur manifestation. Elles disent ce que nous avons en commun et nous indiquent les voies d’un projet collectif. Et le 13 novembre, elles semblaient briller comme de petites veilleuses. Or, ce soir-là, nous étions tous comme des enfants dans la nuit
 

 

  1 Note d’information DEPP n°37, Le Latin au collège : un choix lié à l’origine sociale et au niveau scolaire des élèves en fin de sixième, Octobre 2015.

 

Stanislas Bosch-Chomont
Manager des affaires publiques à Microsoft France

Biographie liée

Dernières publications



Réactions


Réagir à cet article : (réservé aux membres du Who's Who)



1000 caractères restants