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Succession en Europe, la révolution du 17 août

Succession en Europe, la révolution du 17 août


L’estate planning ou planification successorale consiste à trouver la configuration optimum pour transmettre juridiquement et fiscalement son patrimoine dans un contexte international.

Le règlement de successions pose des difficultés particulières quand elles présentent un élément d’extranéité. C’est-à-dire lorsque le défunt décède alors qu’il était domicilié dans un état dont il n’avait pas la nationalité, ou encore lorsqu’il laisse des biens situés à l’étranger.

Chaque année, environ 450 000 successions avec un élément d’extranéité sont réglées en Europe.

Dans un très grand nombre de cas, l’élément d’extranéité provient :
-    de la nationalité étrangère du défunt domicilié en France laissant des biens en France et dans d’autres pays.
-    de la nationalité française du défunt qui laisse une résidence secondaire à l’étranger.

L’enjeu est important compte tenu de la diversité des lois internes d’un pays à un autre. Quelles lois appliquer ?

Ainsi la réserve héréditaire chère à la France est ignorée des pays anglo-saxons et les droits successoraux du conjoint survivant ou du concubin sont très variables selon les pays.

Dans le monde, deux systèmes juridiques coexistent :
-    les pays qui ont retenus un système dualiste (scission) du règlement de la succession en fonction d’une part de la loi du domicile du défunt pour les meubles et la loi de situation des biens pour les immeubles ;
-    et les pays qui ont retenu un système unitaire (unité) du règlement de la succession en soumettant l’intégralité de la succession à une seule loi (à la loi nationale ou à la loi du domicile ou à la loi de situation des biens).

C’est en raison de cette coexistence de législations dites « unitaires », comme en Espagne ou en Italie, avec des législations dites « dualistes », comme en France ou au Royaume Uni, que des conflits de compétence en matière successorale surviennent.

Le système dualiste français consiste à distinguer selon que les biens inscrits à la succession sont mobiliers ou immobiliers.  En présence de biens mobiliers, la loi désignée par la règle de conflit des lois est celle du lieu du domicile du défunt. Lorsque la succession comprend des immeubles, la loi applicable est celle du lieu de leur situation. En présence d’immeubles situés dans des états différents, l’application du système dualiste français conduit donc à composer plusieurs masses successorales, chacune étant réglée selon la loi propre à l’état de situation de l’immeuble.

Ex : Une personne de nationalité française domiciliée en France avec patrimoine immobilier et financier en France et en Grande-Bretagne verra sa succession éclatée entre les lois de ces deux pays : l’intégralité du patrimoine financier et l’immobilier français selon la loi française et l’immobilier situé en Angleterre selon la loi Britannique.

Jusqu’au 16 août dernier lorsqu’une personne dont le patrimoine était réparti entre plusieurs pays décédait en ayant son domicile en France ou y possédant des biens, sa succession était scindée en deux catégories de biens.

D’une part les biens immobiliers, qui seront soumis à la loi de leur lieux de situation c'est-à-dire à la loi successorale du pays où se situent les biens.
D’autre part les biens mobiliers (au sens juridique du terme, par exemple des comptes bancaires, des parts de société, des actions, des meubles meublants) qui suivront le régime juridique applicable dans le pays où le défunt résidait au moment de son décès.

La transmission du patrimoine est ainsi morcelée avec le risque de conflit entre les différentes lois applicables et le risque que la loi retenue ne corresponde pas aux souhaits du défunt.

Il faut commencer par établir un audit avec votre conseil pour vérifier que l’état des lieux juridique correspond à vos souhaits.

La répartition d’un patrimoine dans différents pays soulève des problèmes de droit international privé dont les incidences fiscales sont également essentielles.

Un Français qui possède des biens au Portugal, en Belgique et en France a-t’il intérêt à avoir sa résidence habituelle en France ? Quelle est la formule civile et fiscale la plus adaptée à la transmission de son patrimoine ? Un domicile au Portugal ou en Belgique présenterait-il des avantages ?

Il est important de noter que les outils juridiques et fiscaux traditionnellement utilisés en France comme par exemple la donation entre époux et la donation-partage sont souvent méconnus (parfois interdits) à l’étranger à l’image de notre relative méconnaissance d’institutions comme le Trust ou le pacte successoral. Le testament est en revanche un outil relativement universel, donc à privilégier dans un contexte international.

La matière est ainsi complexe puisqu’elle allie nécessairement la connaissance : du droit interne de chaque pays (droit comparé), des conventions juridiques multilatérales et bien évidemment les interactions de fiscalité internationale.

Heureusement, un règlement européen (n°650/2012, du 4 juillet 2012) a sensiblement simplifié (au niveau juridique) les successions en Europe (la fiscalité demeure établie selon les règles de chaque Etat) en donnant une place essentielle à l’autonomie de la volonté (« professio juris »).

Tous les biens qui composent la succession d’un résident de l’Union seront soumis à une seule et même loi : la loi de son pays de résidence et sur option la loi de sa nationalité.

Ce règlement s’applique dans 25 des 28 pays de l’Union (la Grande Bretagne, l’Irlande et le Danemark ont usés de leur faculté de ne pas appliquer ce règlement).

Les nouvelles règles s’appliquent aux décès à partir du 17 août 2015. Chacun peut choisir sa loi applicable dans le cadre d’un testament. Il est évidemment recommandé de se faire assister des conseils éclairés d’un notaire.





Depuis le 17 aout 2015 : la loi du pays de résidence s’applique à défaut d’autre choix

Il est toutefois possible d’écarter ce principe et d’opter pour la loi de sa nationalité.

Ex : prenons le cas d’un français qui vit au Portugal et qui dispose d’un pied à terre à Paris. L’intégralité de sa succession sera régie par la loi Portugaise sauf s’il opte de son vivant pour la loi française.

Cette option ne s’impose qu’aux pays membre de l’UE. Dans le cas d’un pays hors UE, il faut vérifier les conventions internationales liant l’état concerné à la France.

Pour éviter tout équivoque et formaliser clairement son choix, le plus simple est de désigner expressément la loi que l’on souhaite voir appliquer dans son testament.


Tous les résidents européens pourront choisir la loi applicable à leur nationalité (peu importe que leur nationalité soit d’un pays hors UE)

Un Anglais (idem pour un Danois ou un Irlandais) domicilié à Canterbury et possédant une résidence secondaire dans la Baie de Somme sera soumis à priori à la loi française concernant sa résidence de Baie de Somme. Mais bien que la Grande-Bretagne ait demandé à ne pas voir appliquer sa réforme, il pourra toutefois opter pour l’application de la loi Britannique pour l’ensemble de sa succession et éviter ainsi de subir les règles de la réserve héréditaire française. En revanche, ce même Anglais, s’il habite en France ne pourra pas voir la loi française à l’ensemble de la succession : les immeubles anglais resteront dévolus selon la loi britannique.



Quelles conséquences sociétales de l’application de ce nouveau règlement Européen ?

Au-delà de l’aspect positif d’une mesure qui vient simplifier la lisibilité du droit et le règlement d’une succession, une question se pose de savoir si ce règlement européen annonce l’émergence de nouvelles pratiques d’estate planning, c’est-à-dire choisir la loi du pays de résidence ou celle de sa nationalité en fonction de tel ou tel objectif juridique ou fiscal ?

Une partie de la réponse se trouve dans la résolution de « l’équation » suivante :

>    Le règlement Européen applicable depuis le 17 août 2015 permet d’influer sur la loi qui sera retenue (loi de résidence ou loi de nationalité du défunt) et donc sur les conséquences juridiques (et indirectement fiscales) du règlement d’une succession.
>    La complexité des relations familiales.
>    Le monde est une grande métropole où les distances ne constituent plus une entrave aux déplacements des personnes.

Va-t-on par exemple assister dans l’avenir à un « forum shopping » de résidence pour des parents qui souhaiteraient disposer d’une plus grande latitude dans leur choix de transmission en s’exonérant de la réserve héréditaire (notion chère à la France et absente dans nombre de pays anglo-saxons dont la Grande-Bretagne) ?

Tout dépend de savoir si la réserve héréditaire est une notion considérée comme étant d’ordre public en droit international privé (obligatoire, dont on ne peut s’exonérer) ou pas. Il semblerait que ce ne soit pas le cas mais à ce jour, la Cour de cassation ne s’est pas encore prononcée. Il est donc fort à parier que certains essayeront ce « forum shopping » et que de nouveaux types de contentieux vont émerger dans les années qui viennent. Attention toutefois, l’article 26 du règlement européen prévoit qu’aucune de ses dispositions ne peut permettre d’empêcher une juridiction d’appliquer les mécanismes destinés à lutter contre la fraude à la loi.

Succession et régimes matrimoniaux sont deux thèmes intimement liés puisque le décès d’une personne entraîne la liquidation simultanée du régime matrimonial et de la succession. Qu’en est-il ainsi des régimes matrimoniaux d’époux dans un contexte international ?




MARIAGES À L’INTERNATIONAL

Le monde est une grande métropole où les distances ne constituent plus depuis déjà longtemps une entrave aux déplacements des personnes. Si les aspects fiscaux sont généralement pris en compte, les règles de droit civil sont souvent négligées alors même que les enjeux patrimoniaux peuvent être considérables. Pour ne prendre que l’Union Européenne, 16 millions de mariages présentent une dimension transfrontalière.

La détermination du régime matrimonial pose la question des pouvoirs respectifs des époux dans la vie économique et familiale (acheter, vendre, emprunter, donner…). Quel est le régime matrimonial d’un couple de Français mariés à Paris puis établis à New York ? Les enjeux sont importants : imaginez que le patrimoine que vous pensiez personnel soit en réalité commun ou que le patrimoine que vous pensiez commun soit en réalité un actif propre de votre conjoint !



Famosissima Quaestio

Dans un environnement franco-français, la détermination du régime matrimonial est simple : soit les époux sont soumis à un régime conventionnel par contrat de mariage (ex : séparation de biens, participation aux acquêts, communauté universelle), soit ils sont soumis au régime légal actuel de la communauté de biens réduite aux acquêts.

La situation est très différente pour des époux qui n’ont pas conclu de contrat de mariage (l’immense majorité) et qui présentent des éléments d’extranéité (situation mettant en présence deux ou plusieurs systèmes juridiques nationaux). Les règles pour déterminer leur régime matrimonial sont alors complexes (« famosissima quaestio ») ; elles dépendent du droit international privé français et de l’application d’une convention de la Haye du 14 mars 1978 (applicable en France depuis le 1er septembre 1992).

Le principe retenu pour déterminer le régime matrimonial d’époux mariés sans contrat est de présumer que les époux sont soumis à la loi du lieu où ceux-ci fixent effectivement leur domicile de manière stable après le mariage (la première résidence habituelle commune). Nos époux français établis à NY sont mariés sous le régime de la loi New Yorkaise (sorte de séparation de biens avec spécificités pour l’Etat de new York) et non sous le régime légal français de la communauté de biens réduite aux acquêts.



Changer de loi applicable

L’article 6 de la convention de La Haye permet aux époux (mariés avant ou après le 1er septembre 1992, avec ou sans contrat de mariage) dont la situation est en décalage avec la loi applicable à leur régime matrimonial (soit parce que cette loi ne correspond plus à leur souhait, soit parce qu’elle n’a jamais été réellement voulue) de soumettre leur régime matrimonial à une loi autre que celle jusqu’alors applicable (soit la loi d’un Etat dont l’un des époux possède la nationalité, soit la loi de l’Etat sur le territoire duquel l’un des époux a sa résidence habituelle).

Après avoir désigné la nouvelle loi applicable, les époux peuvent choisir le régime matrimonial parmi ceux proposés par cette nouvelle loi, sans homologation judiciaire. Attention, il est possible que le nouveau régime ne soit pas reconnu à l’étranger et qu’il ne bénéficie pas des avantages fiscaux reconnus en France.

En vue de simplifier la situation, un règlement européen sur les régimes matrimoniaux devrait être adopté (sans doute pas avant 2017).

                       
Guillaume Dozinel, Associé
Gestion Financière Privée (Gefip)
 

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