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La leçon cachée des Gilets Jaunes

La leçon cachée des Gilets Jaunes


Au-delà des leçons politiques et économiques au cœur de la plupart des discours et réflexions sur le mouvement des Gilets Jaunes, se dessine un autre constat : les proximités physiques nécessitent d’être réinventées, et ce n’est pas une mince affaire.

De nombreuses opportunités de proximités physiques ont disparu, avec la raréfaction des cafés, les occasions de parler avec les petits commerçants, la désertification des centres villes, la robotisation et la « webification » des interfaces avec les prestataires de services, des espaces de bureau déshumanisés, etc. Et aussi avec le temps passé sur les smartphones pour des proximités numériques, l’impression d’être débordé et de n’avoir plus le temps pour des bavardages, etc.

Dans le même temps notre société demande de plus en plus de proximités humaines. La société du partage où des Blablacar ou des Leboncoin offrent de nouvelles possibilités d’échange, sans oublier bien sûr les sites de rencontres. On voudrait plus de bien-être au travail et d’humanité dans les décisions et les rapports, même commerciaux.

Ce que les Gilets Jaunes nous disent est que les ronds-points leur ont permis de se retrouver, autour de colères hétéroclites certes mais réelles, de se parler, d’être ensemble dans le froid. Ce sont comme des centaines de cafés du commerce ouverts à tous, où l’on refait le monde, plusieurs générations confondues. Le feu de bois, la solidarité, le partage des sandwichs et des idées renforcent les discours et chauffent les esprits et les cœurs. Et tant pis si certaines revendications sont parfois dans l’absurde, le contradictoire ou le flou. La proximité est identité de chacun.
La fin du mouvement ne peut se limiter à avoir obtenu quelque chose. La revendication est aussi celle de la chaleur humaine.

Trois leçons sont à en tirer, pour les dirigeants économiques et politiques. Il faut réinventer des espaces de proximités, savoir que la mobilisation en essaim fait partie du nouveau normal, prendre conscience que les réseaux sociaux sont au cœur de la dynamique mais aussi de la manipulation et qu’il faut donc inventer des moyens de rendre chacun plus responsable de ce qu’il lit ou dit.



Réinventer des espaces de proximités

Réinventer des espaces de proximité, quand le sentiment de solitude est souvent présent et quand le besoin de partager et d’échanger est réel, va demander de laisser plus de liberté à l’imagination et parfois donner des cadres pour penser ensemble autour d’un café. Il sera difficile de pérenniser des lieux de rencontres autour des carrefours, mais d’autres solutions existent, de nombreuses villes les ont déjà expérimentées, autour de lieux et de groupes de discussions, d’événements sociaux ludiques ou festifs, voire de groupes thématiques autour de la vie écologique au quotidien dans les quartiers, la réduction des dépenses, la gestion de la consommation d’énergie, le débusquage des fake news, etc. Beaucoup a déjà été inventé, mais il faut probablement aller au-delà d’innovations limitées et locales et profiter de ces envies citoyennes de changer le monde pour au moins trouver des propositions pour changer le quotidien.



La mobilisation en essaim fait partie du nouveau normal

Les GJ se sont organisés sans autorité centrale, comme les essaims d’abeilles ou de termites, capables de construire des structures complexes en agissant de concert dans un but commun. Cette mobilisation en essaim, anarchique mais efficace, permise de fait par les outils de communications que sont les réseaux sociaux, n’est pas nouvelle, mais son ampleur et son impact sont plus puissants que jamais. On l’a vu.
Le temps est aux essaims, leur gestion sera délicate, la dynamique sociologique n’en est pas encore totalement comprise, les risques de débordement et de phénomènes collectifs incontrôlables ne sont pas négligeables.
La dynamique sociale en essaim peut être très positive car elle peut aussi amener des dynamiques utiles, par exemple sur les comportements face aux enjeux sociaux, énergétiques et climatiques. De multiples initiatives citoyennes locales observables partout en France en sont des exemples.



L’irrésistible ascension des réseaux sociaux,

Les réseaux sociaux sont au cœur de cette nouvelle dynamique, mais ils sont aussi un instrument potentiel puissant de manipulation des essaims. Les élections américaines, le Brexit, et peut être une partie de la mobilisation des GJ ont été manipulés. Les techniques de manipulation sont relativement simples et surtout très bon marché. Elles reposent en grande partie sur des « chambres d’échos » et sur des infox.
Les chambres d’échos sont dues largement aux algorithmes des réseaux sociaux qui mettent en tête de notre fil de nouvelles celles qui ont été émises par nos amis ou par les médias, fussent-ils très biaisés, que nous semblons préférer (parce que nous les likons souvent par exemple). Ce faisant un biais de confirmation se met en marche dans notre pensée car le « partage » d’opinions similaires nous conduit à penser que tout le monde « partage » cette opinion.
Les infox sont l’un des moyens, en présentant une information fausse mais émotionnellement forte, de nous conduire à rire ou à nous indigner, donc à liker, à retweeter, etc. favorisant ainsi l’émergence des chambres d’échos. L’émotion provoquée, ou l’humour, a pour effet de réduire notre sens critique.
Il va falloir inventer des moyens de canaliser ces impacts. On peut bien sur imaginer d’interdire Facebook et Twitter, de leur demander de modifier leur algorithme, d’augmenter le nombre de personnes chargées d’y surveiller les infox et de les corriger, mais ne soyons pas naïf, les fake news sont comme des virus, ils se propagent si notre système immunitaire ne les arrête pas et si nous les rediffusons nous-mêmes. Il nous faut donc travailler à la fois sur notre système immunitaire, par exemple en suivant l’exemple de tous ces jeunes qui font du fact checking en permanence, et sur notre système émotionnel, en s’interrogeant avant chaque like ou retweet sur « cette information est-elle là pour que j’ai envie de la propager ».
Pour améliorer notre système immunitaire et nos réactions émotionnelles, on peut bien sur tabler sur l’éducation, la formation, etc. mais là encore ne soyons pas naïfs, et réalisons à quel point le collectif et la proximité physique, justement encore elles, peuvent aussi aider à être plus mûrs face aux infox.

Ces leçons vont au-delà du politique, elles nous engagent individuellement et collectivement, à tous les échelons, à construire ensemble de nouvelles proximités signifiantes.
 

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